Patrick
eut lintelligence de ne me poser aucune question lorsque largent
atterrit sur la table. De toute façon, le samedi suivant
lui donna la réponse à sa non-question, lorsquil
rencontra Marcel, les yeux cernés de mauve et une minerve
autour du cou. Comme convenu - je navais quune parole
- je lui apportai mes caisses de Fleshtones.
Simone tenta bien de me gifler. En me baissant pour léviter,
une caisse me glissa des mains et se fracassa au sol. Une perte
sèche sans importance, car Marcel vendrait peu de copies.
Il ordonna à sa femme de se calmer. A la façon dont
il nosait pas vraiment la secouer, je compris que l'imposante
Simone portait la culotte dans le ménage. Dun coup
de hanche, elle pouvait lenvoyer dans le décor ou étouffer
la petite tête dégarnie de son mari entre ses cuisses
charnues. De boulangère Rabelaisienne, je la redécouvrais
géante Fellinienne, ogresse et dangereuse. Les sceynettes
paillardes qui me vinrent à lesprit maidèrent
à porter mes caisses avec le sourire. Et l'affaire se termina
sans autre anicroche.
Je
nous accordai deux semaines de repos. Le temps de mieux se connaître,
de trouver ses marques, le temps que chacun creuse sa niche dans
le petit appartement et se crée des habitudes sociales.
Par exemple, je prenais ma douche en premier. Pour rejoindre la
salle de bain, je devais traverser sa chambre. Sil était
encore endormi, je donnais trois coups de pieds dans son sommier.
Pas deux ou quatre, trois en appuyant le dernier coup pour massurer
que je lavais effectivement réveillé. Patrick
préparait le café tous les matins. Il ne mettait jamais
assez deau. Je masseyais face à la télévision
pour boire ma tasse. De ma position présidentielle, je regardai
les toits de limmeuble den face. Puis, lorsque la caféine
avait déclenché son double effet sur mon partnaire,
réveil du cerveau et poussée intestinale, il allumait
la chaîne et mettait un disque avant de rejoindre la salle
de bain. Souvent, cela ménervait, car il nécoutait
pas mes suggestions, pressé quil était de rejoindre
les toilettes, je changeai de disque. Jaffectai, à
juste titre, une connaissance supérieure du rockn roll.
Je mautorisai des voyages imaginaires, en caleçon,
en sirotant un café brûlant avec Tim Buckley, à
qui je cachai ses sachets dhéroïne pour quil
compose une chanson. Parfois, Van Morisson et Lou Reed se crêpaient
le chignon dans un bar de Hells Kitchen et me prenaient à
témoin. Mais tout le monde tombait daccord sur le fait
que Dylan ne leur arrivait pas à la cheville. Je traînai
dans la chambre d'hôpital neuropsychiatrique de Rocky Erickson
où il recomptait, à linfini, le nombre de petits
pois versés dans sa gamelle. Souvent, et jadorai ces
moments, jaidai Syd Barrett à repeindre son plancher
pendant que sa camarade de jeu se mettait toute nue, traversait
de long en large la pièce en pataugeant dans la peinture
encore fraîche et, en miaulant, frottait sa poitrine de petite
fille contre les murs. Une fois, Syd, me confia son secret: tout
allait bien, il savait exactement ce que les gens pensaient de lui.
Il contrôlait son image et était très heureux
davoir quitté Pink Floyd, la vie publique et lennui
des tournées. Syd simulait pour avoir la paix. Son rêve
était de devenir jardinier.
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