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dominique Forma skeud

SKEUD

Extrait du chapitre 22, Linda

Parution en février 2008 chez FAYARD NOIR

 

Patrick eut l’intelligence de ne me poser aucune question lorsque l’argent atterrit sur la table. De toute façon, le samedi suivant lui donna la réponse à sa non-question, lorsqu’il rencontra Marcel, les yeux cernés de mauve et une minerve autour du cou. Comme convenu - je n’avais qu’une parole - je lui apportai mes caisses de Fleshtones.
Simone tenta bien de me gifler. En me baissant pour l’éviter, une caisse me glissa des mains et se fracassa au sol. Une perte sèche sans importance, car Marcel vendrait peu de copies. Il ordonna à sa femme de se calmer. A la façon dont il n’osait pas vraiment la secouer, je compris que l'imposante Simone portait la culotte dans le ménage. D’un coup de hanche, elle pouvait l’envoyer dans le décor ou étouffer la petite tête dégarnie de son mari entre ses cuisses charnues. De boulangère Rabelaisienne, je la redécouvrais géante Fellinienne, ogresse et dangereuse. Les sceynettes paillardes qui me vinrent à l’esprit m’aidèrent à porter mes caisses avec le sourire. Et l'affaire se termina sans autre anicroche.

Je nous accordai deux semaines de repos. Le temps de mieux se connaître, de trouver ses marques, le temps que chacun creuse sa niche dans le petit appartement et se crée des habitudes sociales.
Par exemple, je prenais ma douche en premier. Pour rejoindre la salle de bain, je devais traverser sa chambre. S’il était encore endormi, je donnais trois coups de pieds dans son sommier. Pas deux ou quatre, trois en appuyant le dernier coup pour m’assurer que je l’avais effectivement réveillé. Patrick préparait le café tous les matins. Il ne mettait jamais assez d’eau. Je m’asseyais face à la télévision pour boire ma tasse. De ma position présidentielle, je regardai les toits de l’immeuble d’en face. Puis, lorsque la caféine avait déclenché son double effet sur mon part’naire, réveil du cerveau et poussée intestinale, il allumait la chaîne et mettait un disque avant de rejoindre la salle de bain. Souvent, cela m’énervait, car il n’écoutait pas mes suggestions, pressé qu’il était de rejoindre les toilettes, je changeai de disque. J’affectai, à juste titre, une connaissance supérieure du rock’n roll. Je m’autorisai des voyages imaginaires, en caleçon, en sirotant un café brûlant avec Tim Buckley, à qui je cachai ses sachets d’héroïne pour qu’il compose une chanson. Parfois, Van Morisson et Lou Reed se crêpaient le chignon dans un bar de Hell’s Kitchen et me prenaient à témoin. Mais tout le monde tombait d’accord sur le fait que Dylan ne leur arrivait pas à la cheville. Je traînai dans la chambre d'hôpital neuropsychiatrique de Rocky Erickson où il recomptait, à l’infini, le nombre de petits pois versés dans sa gamelle. Souvent, et j’adorai ces moments, j’aidai Syd Barrett à repeindre son plancher pendant que sa camarade de jeu se mettait toute nue, traversait de long en large la pièce en pataugeant dans la peinture encore fraîche et, en miaulant, frottait sa poitrine de petite fille contre les murs. Une fois, Syd, me confia son secret: tout allait bien, il savait exactement ce que les gens pensaient de lui. Il contrôlait son image et était très heureux d’avoir quitté Pink Floyd, la vie publique et l’ennui des tournées. Syd simulait pour avoir la paix. Son rêve était de devenir jardinier.

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