Johnny ? Johnny Trouble ?
En personne, répondis-je avec lautorité
dun centurion.
Johnny T. T comme Tribun.
Jaurais pu jouer dans un péplum. Javais les cuisses
suffisamment musclées pour porter la toge mais, surtout,
javais la certitude davoir fait plier le monde à
ma volonté. Je faisais ce que je voulais, je navais
de compte à rendre à personne et je gagnai très
bien ma vie. Le succès me rendait suffisant. Arrogant peut-être.
Franchement con, murmurait la compétition.
Que faisais-je pour être aussi imbu de moi-même et détesté
de la concurrence ? Jenregistrai les concerts auxquels jassistais,
je les gravai sur vinyle pour ensuite vendre ces skeuds à
un public chaque jour plus nombreux.
Jétais un des piliers, la colonne vertébrale
de cette économie clandestine. Jaimais mon métier,
jétais fier de mes skeuds et j'adorai les concerts.
Les soixante à quatre-vingt minutes, qui duraient parfois
une semaine, tant la décharge électrique était
violente, validaient mon
travail. Ces galettes de vinyle que
je fabriquai étaient les témoignages, la mémoire,
de ces moments déblouissement.
On évoquait un concert de 1968, dans un club new-yorkais,
où Lou Reed avait rejoint Jimi Hendrix sur scène.
Personne nétait là pour lenregistrer.
Dommage
Bob Dylan avait eu plus de chance. Ses concerts mythiques
en Angleterre, durant sa tournée de 1966, étaient
tous disponibles quinze ans avant quun label officiel ne se
décide à les diffuser.
Les historiens du xxie siècle nous remercieront. Cétait,
en tout cas, ce que javais prévu de dire pour ma défense
si, par malheur, la police mettait un terme à mon entreprise.
Créer un skeud était avant tout un choix, un choix
de vie. Fabriquer un objet, un bel objet, une chose rare et séduisante
quon pouvait autant regarder, toucher quécouter
Jétais fièrement fétichiste. Un skeud
était bien plus quun acte marchand, cétait
un acte damour, un acte de collectionneur maniaque, un geste
érotique pour celui qui achetait comme pour celui qui vendait.
Évidemment, les avocats, dont la définition génétique
les situe entre le vautour et la hyène, parlaient dun
énorme braquage. A leurs yeux, nous étions d'immondes
barbares, nous pillions le patrimoine artistique dont ils étaient
les défenseurs. Jétais le premier à reconnaître
quun skeud était un disque illégal de chansons
enregistrées de manière illégale, pressé
et vendu illégalement. Les éditeurs musicaux, les
interprètes, les représentants des labels, les auteurs
compositeurs, leurs managers, leurs avocats, leurs maîtresses
et leurs dealers ne touchaient pas un centime du bénéfice
des ventes.
Nous nétions pas idiots, pas plus que des avocats en
tout cas. Certes, il sagissait dune économie
parallèle, mais qui suivait les règles de l'offre
et la demande. Nous vendions ce que les gens souhaitaient acheter.
Nous fabriquions des skeuds de groupes célèbres, ayant
déjà fait fortunes. Le détournement de bénéfice,
dont on nous accusait, bien qu'exacte me paraissait négligeable.
Combien de dizaines de millions fallaient-il sur son compte en banque
pour que Mick Jagger ne souffre plus de ce manque à gagner
?
Si rapacité il y avait, on ne pouvait la trouver de notre
coté.
Sans me prendre pour Robin des Bois, il y avait quelque chose de
sain, de propre, de vivifiant, à détourner une partie
de largent destinée à des types pleins aux as.
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